Tissu de révolte : une mémoire anarchiste espagnole
Par Lilou Barbero-Calmettes, Bogdan Bogino, Laure-Emmanuelle Doualla Goethe et Eva Teauroa-König
L’objet que nous avons choisi est un foulard/mouchoir de la CNT-FAI, la Confédération nationale du travail et la Fédération anarchiste ibérique. Créée en 1910 à Barcelone, la CNT permet un compromis entre différentes mouvances de gauche, elle est à la fois un syndicat de masse et une organisation révolutionnaire anarchiste. Créée clandestinement à Valence en 1927, la FAI porte l’ambition pan ibérique de réunir les mouvements anarchistes portugais et espagnols. Le foulard/mouchoir de la CNT-FAI n’est pas daté, mais il y a de fortes chances pour qu’il vient de 1937. Il a été récupéré auprès d’exilés de la CNT-FAI, par Madeleine Lamberet, une artiste française qui a rejoint, avec sa sœur Renée Lamberet, historienne et militante, les mouvements anarchistes espagnols durant la Guerre civile. Il paraît trop petit pour être un foulard, trop beau et trop décoré pour se moucher dedans ; il s’agit sans doute d’un mouchoir décoratif. Sur le visuel imprimé, on distingue la couleur noir et rouge, couleurs de l’anarcho-syndicalisme, la bordure est constituée de carreaux noirs et rouges. Le centre est divisé en deux, un côté est totalement noir hormis le sigle de la FAI dans le coin du mouchoir. De l’autre côté, un dessin avec, au premier plan, un ouvrier tenant dans la main droite des chaînes brisées représente l’émancipation, la liberté. Dans sa main gauche, une arme renvoie au soulèvement armé des ouvriers et la révolution. En arrière-plan, un soleil rouge.

Foulard CNT-FAI (conservé à La Contemporaine, cote ARCH/0257/4)
Notre première réaction face à ce foulard a d’abord été sensorielle : nous avons tous et toutes ressenti une sorte d’émulation collective. Ce foulard, en-dehors même de sa propre histoire, renvoie à une cohésion d’un groupe qui lutte ensemble pour un projet commun, un projet révolutionnaire[1]. Face à ce foulard nous avons entendu le bruit assourdissant des rues lors des jours de manifestation. Nous avons entendu les cris de personnes qui accordent leur voix et expriment à l’unisson leur désir d’un monde meilleur sans dominant, sans exploitation. L’objet nous ramène à nos propres expériences des manifestations, où des corps multiples ne font plus qu’un, au moment où des milliers de personnes crient en chœur Siamo tutti antifascisti, à un sentiment de cohésion, d’unicité dans la diversité que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Notre travail créatif explore l’héritage de la Guerre civile espagnole et de la Retirada en quatre parties distinctes. À travers une narration entrelacée de flashbacks et de scènes contemporaines, le foulard de la CNT, surnommé Pablito, devient le fil conducteur d’une histoire qui relie passé et présent. Le narrateur introduit le contexte historique et la fuite de deux sœurs républicaines, Alma et Anitta Perez y Sanchez, cherchant à échapper aux persécutions franquistes. L’atmosphère pesante est amplifiée par une bande sonore immersive. Après avoir franchi la frontière, elles sont internées au camp d’Argelès-sur-Mer, où règne un profond désespoir. Des années plus tard, Sofia Deléon, membre de la CNT, découvre le foulard, devenu symbole de résistance. Son échange avec une guide du camp éclaire la mémoire de la Retirada et l’héritage du mouvement anarcho-syndicaliste. Pablito, flottant au vent, incarne la transmission de cette mémoire. Cette capsule sonore mêle fiction et histoire, apportant une réflexion sur la mémoire collective et l’importance de la transmission des luttes passées.
[1] De nombreux barricadiers espagnols antifascistes, ne se considéraient pas de gauche car elle était perçue comme une notion capitaliste.
Bibliographie
Baussant Michèle, Robert Evelyne et Venel Nancy, « La mémoire des immigrations entre militantisme et évitement du politique : trois exemples tirés du monde associatif algérien, égyptien et espagnol », in Noël Barbe et Marina Chauliac (dir.), L'immigration aux frontières du patrimoine, Paris, Éd. de la Maison des sciences de
l'homme, 2014, p.43-60.
Dedèz Marie-Geneviève, « Anarchisme français, anarchisme espagnol et guerre d’Espagne : le fonds Renée Lamberet de l’Institut Français d’Histoire Sociale (IFHS) », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2023, n°149-150, 2023, p. 29-37.
Dreyfus-Armand Geneviève et Martinez-Maler Odette (dir.), dossier « Écritures de la révolution et de la guerre d’Espagne », Exils et migrations ibériques aux XXe et XXIe siècles, 2018/1, n° 9-10.
Taillot Allison (dir.), dossier « Guerre d’Espagne : Intellectuels et engagements », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2017/1, n°123-124.
Entretien
Dreyfus-Armand Geneviève, entretien réalisé le 1er octobre 2024.
Sources sonores, musiques et sons utilisés dans la capsule
Anarchogatos, A las barricadas (lyrics), tribute to CNT, https://www.youtube.com/watch?v=wZAgWC9G8WY