La Cimade et les faux-papiers : une histoire de la résistance française protestante
Par Jade Baetslé, Kenza Bouhram, Enora Collonnec, Rachel Héroult et Fatime-Ezzahra Jaadi
C’est en septembre que nous avons mis les pieds dans la Contemporaine de Nanterre afin de suivre un enseignement : « Mémoires et politique ». Face à nous, une carte d’identité, une photo, une description physique, un timbre. En dessous, une boîte pleine de papiers divers, de lettres et de tampons à priori officiels. À la lecture des dates tamponnées sur les cartes d’identité parfois vierges, il est aisé de comprendre que nous sommes sous le régime de Vichy. Des demandes d’évacuation foisonnent, d’autres sollicitent de l’aide aux administrations jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. La Cimade est régulièrement citée. Quelques recherches sur internet plus tard et la réponse de ce lien est sous nos yeux.
Faux-papiers fabriqués par la Cimade (conservés à La Contemporaine, cote F/DELTA/2149/5002)
Le 1er septembre 1939, l’armée allemande franchi la frontière polonaise sur ordre d’Hitler, la France mobilise ses armées et lance un ordre d’évacuation de l’Alsace et de la Lorraine. Pour venir en aide aux évacués le CIM (Comité inter-mouvement), un rassemblement de jeunes protestants membre des unions chrétiennes de jeunes gens et de jeunes filles de la fédération protestante des associations chrétiennes d’étudiants se mobilisent. Rapidement, le CIM devient Cimade (Comité inter-mouvement auprès des évacués) et réuni principalement des femmes sous la direction de quelques aînées donc la théologienne Suzanne de Dietrich. En 1940, le maréchal Pétain entame la collaboration et fait basculer les réfugiés politiques polonais, allemands et espagnols dans une nouvelle catégorie : celle des indésirables. Enfermés dans des camps, dans des conditions catastrophiques, ces prisonniers font appels aux pasteurs des villages alentours, appelant à leur tour la Cimade. L’association avait pour objectif d’accompagner ces personnes, parmi lesquelles on compte également des Juifs persécutés, en leur offrant une présence fraternelle humaine, en améliorant leur quotidien par la fourniture de denrées essentielles et en les évacuant des camps. Madeleine Barot, archiviste et membre des associations de jeunesse protestante, est appelée à constituer des équipes d’intervention dans les camps d’internement. Soutien, fabrication de faux papiers, constitution de réseaux d’évacuation : Madeleine Barot fut un personnage clé des actions diverses de l’association.
Dans notre travail créatif, nous avons voulu faire entendre les dilemmes et les tensions qui entouraient la fabrication et l’usage des faux-papiers. Ce choix narratif ne vise pas seulement à restituer une réalité historique, mais aussi à immerger l’auditeur dans la complexité des décisions prises par celles et ceux qui résistaient à l’oppression. Dans notre capsule sonore, nous avons cherché à illustrer la fragilité de ces nouvelles identités et le poids qu’elles faisaient peser sur celles et ceux qui les endossaient. Loin d’être un simple objet administratif, chaque faux-papier portait en lui l’espoir de survie, mais aussi l’angoisse de la découverte et de la dénonciation.
Notre travail de reconstitution s’est appuyé sur une approche à la fois sensible et rigoureuse, cherchant à conjuguer l’émotion et la pédagogie. Les archives, les récits familiaux et les apports d’historiens comme André Encrevé nous ont permis d’ancrer notre projet dans une démarche de transmission vivante. En donnant une voix à ces identités reconstituées, nous espérons non seulement rendre hommage à celles et ceux qui ont pris ces risques, mais aussi questionner la notion même d’identité et de résistance face à l’injustice.
Bibliographie
Encrevé André, Les protestants et la vie politique française. De la révolution à nos jours, Paris, CNRS, 2020.
Les Clandestins de Dieu. Cimade 1939-1945, textes rassemblés par Jeanne Merle d’Aubigné et Violette Mouchon, 2ème édition, 1989.
Jacques Geneviève et Deltombe Christophe, « La Cimade, 80 ans de solidarité active avec les personnes réfugiées et migrantes », Hommes et migrations, 2020, n° 1328, p. 184-185.
Entretien
Encrevé André, entretien réalisé le 16 octobre 2024 à la bibliothèque de l'Histoire du protestantisme français.
Sources sonores, musiques et sons utilisés dans la capsule
Chahidi Hicham, Carte aux adieux, https://www.musicscreen.be/musique-libre-de-droit/Catalogue/Carte-aux-Adieux.html
Meydän, Blind, https://freemusicarchive.org/music/Meydan/Havor/8-_Blind_1303